Les derniers espoirs d'une reprise du tourisme à Siem Reap en 2021 se sont volatilisés. En cause, la pitoyable inaptitude des gouvernements européens à gérer la crise sanitaire mondiale et la frilosité des gouvernements de la région à rouvrir leurs frontières aux pays exempts de Covid. En octobre, seulement 2000 "touristes" ont visité Angkor. Il faut revenir en 1997, soit 23 ans en arrière, pour retrouver des chiffres aussi médiocres. Siem Reap est endormie et le prince charmant qui pourra la réveiller n'est pas encore né.
Tout ce chemin parcouru réduit presqu'à néant ! Quel gâchis, et surtout quel drame pour des centaines de milliers de personnes qui avaient misé leur vie sur le trop sensible secteur du tourisme. Retour à la case départ, "reset" pour la cité des temples. Lorsque le royaume s'est ouvert au monde, les premiers touristes à poser leurs sacs à dos à Siem Reap étaient principalement des routards ou des voyageurs individuels aventureux. Les temples avaient été déminés par une poignée de militaires français sous la houlette de celui qui deviendra le tout premier consul honoraire (sans honoraire comme il se plaisait à le dire) de la ville, l'inénarable colonel Jean-Pierre Billaut. Et les vétustes hôtels qui avaient accueilli les hordes de casques bleus étaient prêts à loger les premiers visiteurs.
Le Only one, le seul restaurant tenu par un français, se trouvait face au vieux marché, rapidement rejoint par le Lotus, ouvert, lui par un Belge. Quelques bars, comme le Angkor What? (ouvert en 1998) ou encore le Red Piano faisaient office de phares d'espoir dans la nuit, éclairant timidement la voie à d'autres investisseurs téméraires. Ils sont tous deux à l'origine de ce qui deviendra plus tard la Pub Street ! Et les premiers arrivants ont adoré cette petite ville tranquille et pleine d'un charme désuet. Petit à petit les habitants ont compris tout l'intérêt qu'il y avait à orienter leur activité vers ces nouveaux arrivants et la ville a pris une direction ensoleillée.
En 2001, le fond de commerce du voisin de l'Angkor What?, le What next, tenue par une jeune et belle exentrique chinoise, s'est vendu 2000 dollars. Il deviendra le Tigre de Papier. Dans les rues adjacentes les petits pas de porte locaux se louaient une poignée de riz. Il fallait comptait entre 75 et 150 dollars pour un local dans ces ruelles. Par mois ! Quinze ans plus tard, les loyers avaient été multipliés par 30 ! Mais l'engouement des investisseurs n'avait alors, pas encore fléchi. Au contraire et ce malgré plusieurs coup de freins à ce développement, notemment en 2003, lors du petit frère du Covid, le Sras, le syndrôme respiratoire aigu sévère. Mais rien de dramatique car le tourisme n'en était qu'à ses balbutiements. Or dès 2004 la machine s'est emballée. Les touristes ont été de plus en plus nombreux à venir visiter les temples d'Angkor, puis après la vague coréenne est arrivée celle chinoise. Et tout le monde s'est mis à surfer, ouvrant boutique-hôtels, cafés, restaurants et marchés de nuit. Entre autre. Puis l'inimaginable est arrivé. Et la magie s'est arrêté. Presque d'un coup. Beaucoup ont pensé qu'il ne s'agirait que d'une parenthèse. Certains se sont même réjouis, car cela permettait aux temples de respirer, étouffés qu'ils étaient sous les pieds de milliers de visiteurs quotidiens.
2021 devrait être la reprise. Il suffisait de tenir jusque là... Les plus fragiles ont été les premiers à fermer. Mais les autres voulaient y croire !
Car avant l'arrivée du virus tout n'était pas si rose dans la cité. La poule aux oeufs d'or souffrait déjà depuis plusieurs années de nombreuses maladies. Si l'apogée de ces années fastes a été 2013, celles qui ont suivi annonçaient de terribles changements. Trop de concurrence (surtout au niveau des hôtels de charme), des tarifs de prestations non régulés (la bière à 25 centimes) et surtout trop basses face aux loyers qui grimpaient en flèche, le tout associé à un changement dans les habitudes des touristes et une stagnation (voire une baisse) du marché européen. Il n'en fallait déjà pas davantage pour décourager les investisseurs de la première heure. Avant même l'arrivée du premier touriste porteur du Covid à Siem Reap, le destin de nombreux établissements, surtout ceux travaillant exclusivement avec des Européens, était déjà scellé. Pour eux, le virus n'a été que le bouchon qui s'est mis dans le tuyeau d'arrosage, fermant le flux déjà trop faible pour survivre. Covid ou pas Covid, ils auraient mis la clés sous la porte quoi qu'il advienne. Ceux qui avaient su s'organiser, miser sur de nouveaux marchés ou se trouvant dans une niche, continuaient leur route, conscient d'être passés au travers. Mais ces derniers ont pris le virus de plein fouet. Le second effet Kisscool en fait !
Et pour eux, c'en est aujourd'hui plus ou moins terminé. Des grands noms de l'hôtelerie et de la restauration ont, à tour de rôle, annoncé via les réseaux sociaux, leur fermeture. Certains expliquant qu'elle serait définitive ; d'autres espérant que ce ne serait que provisoire. Un provisoire qui va durer longtemps.
Ainsi, dans les années 2000, la rue perpendiculaire à Pub Street et longeant l'hôpital provincial, ne comptait que des laboratoires d'analyses médicales, des marchants de matériel de bureau ou des épiceries. Et une poignée de commerces tenus, pour majorité, par des étrangers, comme le bien nommé Gecko Mayonnaise et ses mortels cocktails à base d'herbe joyeuse. Vingt ans plus tard (voir la photo d'illustration), après avoir été un des hauts lieux de la vie nocturne, la situation est revenue à son point de départ. Seuls ont survécu les établissements qui n'étaient pas liés au tourisme, à quelques exceptions près.
Pour autant, la vie commerciale ne s'est pas totalement arrêtée, bien heureusement. Les établissements fonctionnant principalement avec une clientèle locale sont restés ouverts. Il s'agit souvent de propriétaires n'ayant pas de loyer à payer.
Mais, surprise, de nouveaux expatriés ont malgré tout décidé que "The show must go on" et se sont lancés dans l'aventure ; montant leurs (petits) commerces. Ici c'est un bar tenu par deux adorables anglais, le JD's à ouvrir à Wat Damnak, non loin du très sympathique Biker shop & Bar, le SuperFly, en bordure de rivière. Là c'est un café qui propose les meilleurs muffins de la ville, le Muffin Man ou encore un nouveau glacier, le Gelato dream sur Funky Lane. Et j'en passe certainement.
Bref, Siem Reap s'est endormi et tout le monde attend l'arrivée d'un médicament, d'un vaccin ou le changement de politique face à cette crise des gouvernements européens (c'est de l'humour), pour enfin commencer, tout en douceur, le réveil de la belle qui sommeille.
Et comme une mauvaise nouvelle amène parfois son lot de petits bonheurs, la société qui gère les temples s'est enfin décidée à répondre favorablement à une demande vieille de plus de vingt ans, à savoir la création d'une carte d'entrée sur le site d'Angkor pour expatriés, payante mais valable plusieurs mois.
Finalement, les expats qui restent n'auront pas tout perdu !
Pas sûr que cela puisse les consoler...
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