L’article qui suit a été publié en juillet 2008 dans le magazine Le Gavroche.
« Vous devez trouver du changement en France, non, si vous n’êtes pas venus depuis deux ans » ? La dame, une amie de ma mère, me pose la question. Nous sommes dans un hypermarché de la périphérie de Narbonne, dans un de ces ignobles et immenses cubes de tôles qui enlaidissent, depuis plus de vingt ans, les pourtours des villes. Edifiés à la gloire de la consommation, ces hangars sont les lieux où l’on vend à des millions de gens qui n’en ont pas les moyens, des choses dont ils n’ont pas besoin.
Sans réfléchir, je lui lance que je trouve davantage de changements sur l’avenue Sukhumvit de Bangkok en trois semaines qu’en deux ans en France.
J’ai dit cela sans trop réfléchir. Et ce n’est qu’après que je me suis mis à penser à cette question d’évolution. Un peu comme Darwin, mais en moins compliqué. Au départ, c’est vrai, je n’avais pas vu de changements. L’arrivée à Roissy, l’aéroport le plus compliqué du monde, s’était déroulée comme à chaque fois. Un bordel sans nom à l’immigration. Une queue sans fin, et une pagaille très française. Des gens qui râlent et qui tentent d’expliquer à des pauvres types qui ont le malheur d’arborer un badge ADP sur leur uniforme, qu’ils pourraient s’organiser différemment. Ce à quoi le badgé répond : « si vous n’êtes pas content, fallait rester chez vous ». Rien que de très normal somme toute. Puis il y a le gaulois douanier, cet homme vendu aux marques de luxes, qui s’acharne à découvrir dans votre linge sale LA fausse paire de lunettes Rayban made in Thaïland. Lui, il est là pour faire la promotion de la vraie paire de lunettes, beaucoup plus chère, la véritable Rayban made in China qu’il ne pourra jamais s’acheter avec son maigre salaire. Je me suis toujours demandé si les marques reversent un pourcentage de leurs bénéfices au service des douanes. Je crois que ce n’est même pas le cas. Quel dévouement !
« Monsieur, votre carte d’embarquement et votre passeport, s’il vous plaît ». Je ne me fais pas de soucis. Mon sac ne contient que des souvenirs quelconques et mes T-shirts Jeep sont tous des vrais. J’ai bien quelques vieux jeans achetés à Jatujak et je ne sais même pas s’ils sont de marque ou pas. Quand j’achète un pantalon, la seule chose que je regarde c’est qu’il m’aille… Surtout à la taille !
« Veuillez ouvrir votre sac. Qu’est ce qui ne va pas ? », me dit l’uniforme. « Rien », je réponds. « Si, vous avez soupiré », constate la moustache. « Je suis fatigué, c’est tout », j’argumente. « Vous n’êtes pas fatigué puisque vous revenez de vacances », coupe l’autorité. Sans appel, avec cette certitude qu’ont les gens qu’on invite généralement dans des dîners entre amis, les mercredis soir, afin qu’ils nous parlent de leur passion, en l’occurrence, la chasse à la fausse Rayban.
J’avais oublié, en France quand vous êtes un homme seul en provenance de Thaïlande, vous revenez forcément de vacances. Et vous êtes certainement doublés d’un détraqué sexuel… Le ventripotent en bleu sombre est surpris et très déçu que je ne dispose pas d’appareil photos. Il insiste. Comment peut-on revenir de vacances sans appareil photo ? « On vous l’a volé » ?, tente l’homme. « Non je n’en ai pas », tranche-je. Le gradé pensait peut-être y trouver des photos d’enfants nus. Ce qui serait logique puisque je reviens de Bangkok… La visière devient alors suspicieuse, d’autant qu’au milieu de mes caleçons troués, pas un seul Tintin au Tibet. Encore moins des Lacoste ! Je sens le besoin de m’expliquer : « Je ne suis pas un touriste, je réside en Asie et je ne reviens que quelques semaines voir mes parents ».
« Ha, vous êtes un fuyeur d’impôts ! », me réplique le képi. C’est donc comme ça qu’on désigne les expatriés. Des petits malins qui ne veulent pas payer d’impôts. J’aurai au moins appris quelque chose… Mais, pour l’instant, je reste coi, la voix m’en tombe et les bras se coupent net. « Circulez ! », mâche la moustache, accompagnant son verbe d’un geste qui signifie à peu près la même chose.
Je suis libre. Je suis en Gaule !
Puis il y a le quai de la gare. Et une voix de jeune fille enrouée dans le haut-parleur : « La législation sur le tabac est entrée en vigueur en juillet 2007. Nous vous rappelons qu’il est interdit de fumer dans la gare et sur les quais ». Nous sommes en juin 2008. Le gars, juste à côté de moi, doit être sourd ou étranger, puisqu’il sort une cigarette de son paquet à cinq euros, et l’allume. Une cheftaine de gare passe. Sur son badge SNCF : « Catherine, à votre service ». Du haut de son mètre cinquante-deux, elle dévisage le fumeur et poursuit son chemin. Le mégot de la cheminée en infraction atterrira quelques minutes plus tard sur le quai, au milieu d’autres déchets urbains. Peut-on imaginer une telle situation sur le quai d’une station du Skytrain de Bangkok ? C’est la question bête qui me vient à l’esprit. Le décalage horaire sans doute. Les pieds sous la grisaille de Paris, ma tête est encore dans le soleil de l’Asie. Mais, est-il possible de comparer l’incomparable ? La France est un pays de liberté après tout. D’égalité aussi. Du moins dans les papiers.
Plus tard, lors d’un changement à Montpellier, je constate que trois personnes sur quatre fument. C’est un minimum. À cinq euros le paquet, c’est la preuve que la France est aussi un pays riche. Au bistrot, sur la place de la gare, tout le monde a la clope au bec. La cendre et les mégots atterrissent à terre. Vu qu’il est interdit de fumer ici aussi, (on est toujours dans la gare, voir la loi de juillet 2007 citée plus haut), les tables ne sont pas équipées de cendriers. Logique. À 2,60 Euros le demi-panaché, servi par un garçon débordé et aimable comme un douanier, je me dis que si j’étais fumeur, moi aussi je ferai comme tout le monde. Non mais ! Par amour de liberté et aussi par fraternité avec les fumeurs !
Au fait, pourquoi un demi-panaché ? Parce que j’ai fait l’erreur de demander le menu des boissons. Le garçon me répond qu’il n’en a point. Alors, bêtement, je demande un jus de citron vert. Le serveur lève les sourcils, écarquille ses yeux de mérou, forme un « o » avec sa bouche et reste comme cela quelques secondes, l’air con et le plateau en équilibre sur la paume de sa main. C’est le temps qu’il me faut pour me rappeler une des boissons que je dégustais au temps de mes études en terrasse d’identiques cafés, où les gens fumaient tout autant, mais où il y avait des cendriers. Donc, un demi-panaché, je commande. Ouf, voilà mon serveur rassuré. Quelle idée aussi de demander le menu !
Dans le train, première classe, il y a des vieux. Apparemment, les seuls à pouvoir se payer un billet première classe en France sont des vieux. Et l’un d’eux a eu la bonne idée d’amener son toutou à sa maman ! Le chien ne ressemble à rien, mais il pue de la gueule et il chiera dans le couloir entre Nîmes et Montpellier. La SNCF, non contente d’accepter les animaux, fait payer leur voyage à leurs propriétaires. Ainsi, un enseignant qui emmenait à son école quelques escargots dans une boîte plastique pour une leçon de choses, a du payer un billet pour animaux. Après tout, SNCF, c’est possible. Et ils le prouvent !
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