top of page
fredericamat

Petites scènes de racisme ordinaire (2)


Cambodge, Wat Atvear:

Il est 17h32. Le ciel est nuageux, il souffle un petit vent frais. Le Wat Atvear est un temple angkorien situé à la sortie de la ville en direction du lac Tonlé Sap. Une pagode moderne s’est construite à côté des quelques tours de grès sombre et de son mur d’enceinte. Des bonzes y vivent et un garde de l’autorité Apsara, le nouveau Dieu de la région, y patrouille.

Il ne faut pas encore de billet d’entrée au complexe d’Angkor (vendu par le société Sokhimex) pour venir se balader dans ce petit sanctuaire mais cela ne saurait tarder. L’entrée est ainsi gratuite. Apsara ne fait que garder le temple pour éviter les dégradations.

Donc à peine avons nous gravi les marches qui mènent à l’enceinte du temple que le garde Apsara se précipite vers nous. Au Cambodgien qui nous accompagne, il explique que le temple est fermé aux touristes à 17h30. Lui peut rester, mais les étrangers doivent partir. Le soleil brille encore dans le ciel, le temple n’a pas encore de grille avec un cadenas. Pas de panneau, non plus, expliquant cette curieuse loi au faciès.

Alors l’ami Cambodgien explique au garde que parmi les deux Français qui sont avec lui il y en a un qui a obtenu la nationalité cambodgienne. Malheureusement celui-ci, qui parle couramment le Khmer, n’a pas son passeport sur lui. Il tente d’intervenir et dit au garde qu’ils ne font que passer, qu’ils se promènent. Que, jadis, il avait organisé son mariage ici et que cela lui plaisait de revenir revivre quelques souvenirs. Le garde ne veut rien savoir. Le Cambodgien peut rester, mais les étrangers doivent quitter les lieux. Que le Français ait la nationalité cambodgienne, “à sa tête, cela ne se voit pas. Il n’a pas pris son passeport, dehors !”

L’ami Cambodgien lui rétorque que lui non plus il n’a pas son passeport. Le garde réplique que lui, il a une tête de Khmer.

Nouvel échange:

– Quand je vais en Thaïlande on me dit que je suis Thaï. Quand je vais en Birmanie, je deviens Birman. Comment peux tu être sûr que je suis Khmer?

– Tu parle la langue.

– Mon ami aussi, et il parle aussi bien que toi.

– Lui il est Barang. Même s’il parle Khmer.

La discussion s’arrêtera là. Les amis étaient venus se promener et non pas philosopher sur les différentes discriminations raciales.

Au Cambodge donc, la préférence nationale est une valeur sûre, que personne ne discute. Un Khmer d’origine étrangère n’a pas la tête d’un Khmer. Il ne sera jamais Khmer. Il ne peut donc pas avoir les droits inhérents à sa nationalité acquise, sauf s’il est en mesure de se livrer à chaque fois, à un contrôle strict d’identité.

Etre Khmer c’est avoir la tête d’un Khmer. Pas de bras, pas de chocolat. Pas de tête de Khmer, pas de droit de Khmer. C’est simple. C’est sans appel. C’est la norme.

France, Fnac, rayon CD musique :

Dans les bacs des CD en vente à la Fnac on trouve des chansons chantées par des Français d’origine ethnique étrangère. Voici quelques exemples de groupes et quelques extraits de leurs chansons:

Le groupe 113 :

“J’ crie tout haut : ” J’baise votre nation ” On remballe et on leur pète leur fion. Faut pas qu’y ait une bavure ou dans la ville ça va péter, Du commissaire au stagiaire: tous détestés ! A la moindre occasion, dès qu’ tu l’ peux, faut les baiser. Bats les couilles les porcs qui représentent l’ordre en France.”

Le groupe Sniper (chanson La France) :

“Pour mission exterminer les ministres et les fachos La France est une garce et on s’est fait trahir On nique la France sous une tendance de musique populaire Les frères sont armés jusqu’aux dents, tous prêts à faire la guerre Faudrait changer les lois et pouvoir voir Bientôt à l’Élysée des arabes et des noirs au pouvoir. Faut que ça pète ! Frère, je lance un appel, on est là pour tous niquer La France aux français, tant qu’ j’y serai, ça serait impossible. Leur laisser des traces et des séquelles avant de crever. Faut leur en faire baver la seule chose qu’ils ont méritée. T’façon j’ai plus rien à perdre, j’aimerais les faire pendre. Mon seul souhait désormais est de nous voir les envahir. Ils canalisent la révolte pour éviter la guerre civile.”

Le groupe Ministère amer (chanson Flirt avec le meurtre) :

“j’aimerais voir brûler Panam au napalm sous les flammes façon Vietnam tandis que ceux de ton espèce galopent où 24 heures par jour et 7 jours par semaine J’ai envie de dégainer sur des f.a.c.e.s d.e c.r.a.i.e dommage (….) que ta mère ne t’ait rien dit sur ce putain de pays me retirer ma carte d’identité, avec laquelle je me suis plusieurs fois torché.”

Le groupe Smala:

“Brûler leur sperme en échantillons, souder leurs chattes J’suis pas le bienvenu, mais j’ suis là,(…), j’ suis venu manger et chier là. Quand j’vois la France les jambes écartées j’ l’ encule sans huile. Zont dévalisé l’Afrique… J’vais piller la France Tu m’ dis “la France un pays libre” (…) attends-toi à bouffer du calibre. J’rêve de loger dans la tête d’un flic une balle de G.L.O.C.K.”

Conclusion:

Au Cambodge, on demande à un Khmer d’origine étrangère de quitter un temple à 17h30 car il ne peut prouver sa nationalité et du fait de son faciès, il reste un étranger. Il est ainsi soumis aux lois qui régissent les faits et gestes des étrangers. Sed Lex Dura Lex. La loi est dure mais c’est la loi ! Disons la norme. Que tout le monde trouve normal. Il n’y a dans ce phénomène aucun soupçon de racisme. D’ailleurs ce mot n’existe pas dans la langue khmère. Le Khmer n’est pas raciste. Il applique une discrimination issue de l’identité nationale sans même savoir qu’il s’agit là d’une discrimination. Il y a les Khmers et il y a les autres.

En France, les Français d’origine ethnique étrangère vendent à la Fnac des chansons dans lesquelles ils appellent au meurtre des “faces de craies”, ces français de souche (le terme est hautement politiquement incorrect, parce que justement il met le doigt où cela fait mal, même si ce Français de souche a des grands parents italiens et allemands). Ils appellent publiquement à tuer les policiers et les pompiers. Et à brûler Paris. L’incitation à la haine raciale est, disons, non pas légale mais tolérée puisque ces chansons sont en vente à la Fnac ! Et malgré l’intervention de plusieurs députés pour que le parquet porte plainte contre ces groupes il y a quelques années, rien n’a jamais été fait.

Quel est le rapport entre ces deux histoires ?

Le rapport, c’est la norme. Qu’est ce qui est normal ? Où se situe la norme dans les relations entre individus d’origines différentes vivant dans un même pays ?

Au Cambodge, l’étranger a des devoirs et très peu de droits. Normal pensent beaucoup. Normal, c’est un étranger forcément riche qui est venu vivre dans un pays forcément pauvre. Même s’il a, par un moyen ou un autre acquis la nationalité cambodgienne, il reste un profiteur de misère. Il reste un étranger. Savez-vous que le propriétaire d’une agence de voyage qui paye des taxes, qui a enregistré son agence légalement (dépôt bloqué de 5000 dollars dans une banque sur le compte du ministère du tourisme), ne peut pas accompagner des touristes dans l’enceinte des temples d’Angkor. Il ne peut pas avoir une autorisation pour ce faire. Pourquoi? Parce qu’il est étranger. Il doit payer comme un touriste l’entrée au temple, alors qu’il est le patron d’une agence de voyage et qu’il participe au développement du Cambodge en faisant venir des milliers de touristes.

En France, l’étranger a des droits mais il semble qu’il ait peu de devoirs. Même s’il a acquis la nationalité française, même s’il est venu d’un pays pauvre profiter de la soi-disante richesse d’un pays dit riche, cela ne l’empêche pas, comme dans ces chansons, d’utiliser son origine ethnique pour critiquer le pays qui lui a donné sa nationalité et qui le nourrit. Et ce en toute impunité.

Les Cambodgiens trouvent normal que l’étranger quitte le temple à 17h30 car c’est comme cela.

Les Français trouvent normal que des disques d’incitation à la haine raciale anti-française se retrouvent en vente à la Fnac. Puisque personne n’a jamais rien fait pour retirer ces horreurs. Et de toute manière, il existe mille et une association pour défendre le droit à la liberté d’expression, une liberté à sens unique. A l’inverse, tout le monde s’offusquerait d’un groupe de jeunes gens blonds et propres sur eux qui, au lieu de chanter “j’ai envie de dégainer sur des f.a.c.e.s d.e c.r.a.i.e “, auraient l’idée de “dégainer sur des f.a.c.e.s d.e.m…c.a.q…e”. C’est un exemple. Mais un exemple qui fait peur.

Juste une question de normes. Même si tout cela est quelque peu énorme !

6 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

コメント


Post: Blog2_Post
bottom of page