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fredericamat

Petit conte de Noël pas comme les autres au Cambodge

Cette histoire est vraie. Elle s'est déroulé un 25 décembre à une époque où les individus pouvaient encore voyager librement. Décembre était le mois où les amis et la famille quittaient pour un temps la rudesse de leur climat pour venir rendre visite à leurs proches sous les tropiques. L'occasion de leur faire découvrir les "spécialités" du pays...

Le jeune homme a tout juste 17 ans. Il vient de débarquer au Cambodge avec ses parents en visite chez des amis. Le freluquet ressemble à n’importe quel adolescent français mal dans ses godasses, complexé par sa grande taille, son nez trop long, sa peau granuleuse et ses cheveux huileux. Le garçon lutte intérieurement contre un taux de testostérone bien au-dessus des normales saisonnières. Il porte des lunettes rondes, en plastique imitation écailles. Est-ce parce qu’il n’a pas les oreilles au même niveau que les deux verres sont asymétriques ? Quoi qu’il en soit, le gars a un sérieux problème de comportement, lié très certainement à cet âge que l’on dit ingrat. Il se tient voûté ; les mains, pendantes au bout de trop longs bras, sont enfouies dans les poches de son Jean’s trop court surplombant des chaussettes en soufflet.

Dès l’entrée du Beer Garden, son système endocrinien revient à la charge et lâche une salve de molécules libidinales dans son organisme. Les deux rangées de jeunes filles maquillées comme des voitures volées, et assises gentiment sur des chaises en plastique de chaque côté du grand porche donnant sur le jardin intérieur, agissent comme un détonateur. Le grand garçon marque une pause puis, dans une sorte de tic nerveux, lance à l’adresse des poupées de petits coups d’œil furtifs. Il semble un cambrioleur novice devant la porte d’entrée d’une maison inoccupée, partagé entre son envie de s’y introduire et la peur des gendarmes.

Car la gendarmerie est là ! Juste derrière lui trône sa mère. Puis vient son père. Le patriarche semble éteint. Son ventre rond monté sur deux courts bâtons et sa bouille rougie par l’alcool sont les signes qu’il a depuis longtemps abandonné le combat. La génitrice, une pète-sec aussi droite et maigre qu’un fil à plomb, a refilé à son fils l’essentiel de sa porte de prison en guise de gueule. Le gamin n’a, quant à lui, pas encore l’air pincé de sa mère ; ce masque des gens qui ont lentement buriné sur leur visage des années de méchanceté gratuite associés à une bêtise maladive. Au contraire, l’innocence qui irradie le regard du jeune garçon l’empêche d’être totalement moche.

La petite famille suit les amis qui en ont rejoints d’autres pour cette immersion en milieu authentiquement cambodgien.

« Tu verras, lui avait-on dit dans un clin d’œil complice, rien ne vaut une soirée dans un bon Beer Garden local pour apprécier le Cambodge profond ». Les Pieds Nickelés, ne sachant ce que pouvait être un « jardin de bière », se sont laissés guidés. Mais, alors que le jeune homme manque de s’asphyxier à la vue des jeunes serveuses, minijupe noire et chemisier blanc, petit nœud dans les cheveux et sourire aux lèvres, la mère s’inquiète : « Pourquoi y a-t-il autant d’employées dans cet endroit ? J’espère que ce ne sont pas des prostituées ? ». Prostituées ! Le mot est lâché.

Après quelques bières apportées par une nuée de « lanceuses », plus souriantes les unes que les autres, la table s’anime rapidement. Toute ? Non. Un peu comme ce village d’irréductibles gaulois, une personne résiste à la bonne ambiance des lieux ! Cette personne, c’est Miss Pète-sec dans le rôle de la poule qui veille sur ses œufs. La conversation dévie rapidement sur le charme des Asiatiques et des blagues graveleuses sont lancées à la face du jeune boutonneux. Le pauvre n’a pas besoin de cela pour suffoquer dans la moiteur ambiante de ce jardin d’Eden où glissent des Eves en tenues de nymphes.

Le drame éclate lorsque, voyant le jeu de regards croisés entre le fils, les jeunes filles et la mère, un convive invite une demoiselle à prendre place aux côtés du jeune homme. Tout va ensuite très vite et, des témoins occupés à courtiser leur voisine, diront plus tard qu’ils ont raté un passage. Ainsi, la mère se lève comme un diable sort de sa boîte ; attrape la Belle par le bras au moment où cette dernière effleure l’épaule de son rejeton terrifié. La marâtre, le feu dans les yeux, intime l’ordre, en français dans le texte, à la pauvre âme d’aller voir ailleurs si elle s’y trouve. Ajoutant le geste à la parole, elle pointe un doigt que l’on pense accusateur, vers la sortie. La douce Cosette quitte son prince charmant, le regard triste de laisser s’envoler si bonne poire pour son dessert.

Humilié, le garçon rentre la tête dans ses épaules voûtées, pince les lèvres, et souffle. Son visage tuméfié signalait depuis son arrivée qu’une terrible douleur torturait son corps soumis aux soubresauts chimiques qui caractérisent son état pubère. Il vient de virer au cramoisie ; ne dit rien, mais bouillonne.

La mère ne se rassied pas pour autant. Elle se lance dans un discours sur le comment du pourquoi de ces « expats’ » détraqués qui considèrent les femmes comme de la marchandise. Qu’elle n’aurait jamais du venir dans un pays choisi par beaucoup d'obsédés sur cette planète pour assouvir leurs « besoins bestiaux ». Que de tels comportements, et caetera et caetera ! Nuits de Chine, nuits câlines...

C’est alors que le rejeton relève le menton, jette un regard plein de colère à sa mère et, puisant dans le désespoir tout le courage dont il a besoin, lance d’une voix à peine hésitante cette phrase qui restera longtemps dans la mémoire des convives :

« Mais, maman... C’est Noël ! »



PS : Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé, ayant séjourné ou séjournant au Cambodge, ne serait pas qu’une simple coïncidence.

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