La plupart des sites naturels importants et des monuments anciens sont associés, au Cambodge, à une légende constitutive, à un mythe créationnel transmis oralement de génération à génération.
Ce mythe se substitue ainsi à l’origine réelle de ces lieux et de ces constructions. Au fil des invasions, les dieux et héros mythiques, notamment ceux des colonisateurs hindous, sont venu se mêler au culte des génies originels. Les narrateurs en créèrent d’autres et, à de nouveaux maux et de nouvelles occasions, de nouveaux génies furent associés.
Lorsque le Cambodge adopta le bouddhisme du petit véhicule (théravâda), ces cultes subsistèrent et se mêlèrent même à la nouvelle religion au lieu de disparaître progressivement. De nos jours, l’animisme régit nombre d’évènements de la vie matérielle et donne une origine à toutes choses, tandis que le bouddhisme montre la voie à suivre spirituellement. Le mélange des deux, associé à l’histoire particulière du royaume, a façonné les traits de caractère des Khmers, peu enclins à combattre les obstacles qu’ils jugent du domaine de l’au-delà, et résignés à attendre que ceux-ci disparaissent d’eux-mêmes.
Ce qui n’est que fable ou superstition pour le Barang cartésien est bien souvent une réalité pour le Cambodgien. Ce dernier ne fait pas forcément la part des choses entre mythe et histoire ancienne et il n’est pas rare de rencontrer, dans des régions pas forcément reculées, des personnes qui croient dur comme fer que les temples d’Angkor ont été conçus par des dieux à une époque où divinités et humains se côtoyaient.
Dans le même ordre d’idées le fait d’accrocher sur la façade de la maison du défunt des bannières en forme de crocodiles provient d’un temps immémorial où régnait un roi dont la fille eut la malchance de finir ses jours dans le ventre d’un crocodile. Inconsolable, le roi fit installer une bannière aux formes de cet animal afin que, chaque jour, il puisse se rappeler l’origine de la disparition tragique de sa fille unique. C’est à partir de cette époque que l’habitude fut prise par le peuple, imitant leur souverain, de rendre hommage aux morts en accrochant de telles bannières sur les habitations lors des cérémonies mortuaires. La véritable origine de ces drapeaux est à rechercher ailleurs, mais au Cambodge, on se satisfait pleinement de cette version.
Les deux collines, non loin de Kompong Cham, dénommées Phnom Prâ et Phnom Srey (la colline des hommes et celle des femmes) tirent leur origine d’une lutte entre les sexes opposés. II y a fort longtemps, une reine nommée Srei Ayuthyéa régnait dans le pays des Khmers. Elle était célibataire mais, à cause de son rang, personne n’osait jamais la demander en mariage et c’est donc elle qui se choisit comme époux un bel homme. Suivant l’exemple de la reine Srei Ayuthyéa, les femmes de son royaume l’imitèrent et ainsi les femmes se mirent à demander les hommes en mariage. Mais, au bout d’un moment, cette coutume ne convenait plus aux femmes qui perdaient souvent la face en essuyant des refus. Lorsque la reine qui avait instauré cette pratique mourut, les femmes tinrent une assemblée et décidèrent d’un concours qui les opposerait aux hommes. Si ces derniers remportaient le challenge, la situation ne changerait pas. À l’inverse, s’ils perdaient, ce serait désormais à eux de demander les femmes en mariage et non plus l’inverse. Il fut ainsi décidé de constituer deux groupes de sexes opposés et de bâtir chacun, durant une nuit, une colline artificielle. Il était convenu d’arrêter les travaux lorsque l’étoile du matin (Pkay preuk) apparaîtrait dans le ciel. Celui qui aurait alors élevé la plus haute colline serait déclaré vainqueur. Chaque groupe constitué se mit donc au travail. Durant la nuit, après seulement quelques heures, une poignée de femmes, voyant que la colline des hommes avançait beaucoup plus vite que la leur, eut l’idée d’hisser une petite lanterne fixée sur un bambou, le plus haut possible dans le ciel, du côté nord-est de la colline. Les hommes prirent cette lumière pour l'étoile du matin et cessèrent leur labeur. Ils s’endormirent, laissant aux femmes le soin de terminer leur colline jusqu’au lever de la véritable étoile du matin. Au chant du coq, les hommes s’éveillèrent enfin et comprirent, mais trop tard, leur erreur. Leur colline était bien petite face à celle des femmes : ils avaient perdu.
À partir de cette date ce sont désormais les hommes qui demandent les femmes en mariage. Et non plus l’inverse.
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