« Chers compatriotes ». « Français établis hors de France ». « Chers amis »…
Les formules de politesse changent parfois, mais rarement les discours. Jamais expat’ n’aura été autant courtisé dans sa boîte mail que depuis ces dernières semaines. Et jamais la fonction spam n’aura autant fonctionné. Après les courriels des dix candidats à la présidentielle, puis ceux des deux finalistes, voici venir les innombrables messages des candidats aux élections législatives de juin.
Jusqu’à présent l’expat’ était tranquille. Trop peut-être pour que ça dure. Il s’était trouvé un coin au soleil et la France, il la regardait sur TV5 ou la dégustait de temps en temps, lorsque des amis de retour de cet ancien « chez-soi » lui ramenaient un carré de fromage et un petit saucisson. Il invitait alors d’autres amis à une soirée d’expats’ et ouvrait quelques bonnes bouteilles. L’occasion de parler tous ensemble de ce pays qui fût jadis leur maison. L’expat’ s’intéresse à la France comme un propriétaire qui, parti en vacances, a laissé les clés de son domicile à un ami et lui demande parfois des nouvelles du chat. Ne nous méprenons pas, certainement parce qu’il n’est plus chez lui, l’expat’ se sent généralement, dans son cœur, plus Français que les Français qui y vivent encore. Comme l’écrivait Jean Raspail dans Le Camp des Saints, le meilleur de ses romans et le plus controversé : être Français, « ce n’est pas une couleur de peau, c’est un état d’esprit ».
Si l’expat’ garde un œil sur son vieux continent, il y a longtemps que ce dernier ne se souvient de l’existence de ce qu’elle nomme les « Français établis hors de France », qu’une fois tous les 5 ans, lorsqu’il s’agit de leur demander un coup de main pour se faire élire.
Or, cette année, ce n’est pas un coup de main, c’est un coup de poing qu’elle a reçu en plein visage.
L’expat’ le sait, la France l’a rejeté le jour où il est monté dans l’avion, mais cela ne le dérange pas. Et ce n’est pas la mise en place d’un député des Français établis dans une circonscription (la 11ème) aussi grosse que la moitié du monde, qui va changer quelque chose à ces relations de « je t’aime moi non plus ». Madame Marianne se moque de ses expats’ comme du gouffre de sa sécu. Mais l’expat’ est comme un chien, toujours fidèle à sa mère patrie, quel que soit le nombre de coups de pieds qu’il prend au cul.
Avec une certaine tristesse mêlée de compassion, de son petit coin lointain, l’expat’ regarde sombrer lentement le paquebot France, qui coule avec autant d’absurdité que le font des navires de croisières en Méditerranée et certains présidents ailleurs.
Alors, il arrive que le citoyen français expatrié se sente responsable et se décide à aller voter.
En Thaïlande, l’ambassade n’a pas lésiné sur les moyens. Les 5900 votants disposaient de 6 bureaux de vote dont trois à Bangkok, un à Pattaya, pourtant à moins d’une heure et demie de la capitale, un à Chiang Mai et un à Phuket.
Les 2300 expats’ inscrits sur les listes électorale au Cambodge n’ont pas eu cette chance. Ceux qui étaient pris d’un sursaut de sens civique ont dû se rendre dans l’unique bureau de vote situé à leur ambassade, à Phnom Penh, dissimulée derrière un grand mur blanc, tout là-haut, là-haut, au 1 boulevard Monivong.
Cet élan démocratique n’a pas été majoritaire, loin de là. L’expat’ est le champion de l’abstention toutes catégories confondues. Mais, lorsque ce Barang* décide finalement d’effectuer les 6 heures de trajet pour parcourir les 310 kilomètres qui séparent Siem Reap, son lieu de villégiature, de l’ambassade de France, il se demande s’il n’aurait pas mieux fait de se rendre à la pétanque comme il le fait tous les dimanches ? Il en va de même pour celui venu de Sihanoukville, moins loin, mais où la pétanque se pratique tous les jours.
Il faut le savoir : Quand on est expat’ du Cambodge, on ne pénètre plus en voiture sur le sol français comme cela se faisait jadis les jours de vote : le fameux portail de l’ambassade est désormais clos, sans doute pour des questions de sécurité, et journée d’élection ne déroge pas à la règle. Après avoir trouvé une place dans les rues adjacentes, il faut traverser le boulevard Monivong avec ses deux poussettes et ses trois enfants. Autant jouer à la roulette russe avec un revolver chargé de six balles. Celui qui n’a pas fini sur le capot d’un Land Cruiser (ou autre véhicule de luxe, les plus dangereux), n’est pas pour autant au bout de ses peines.
Il doit franchir le très étroit sas d’entrée (toujours la sécurité), éteindre ses téléphones et prouver son appartenance et celle de sa tribu à la nation de Brigitte Bardot. Ensuite, l’expat’ se retrouve « enfermé » entre deux lignes de ruban rouge et blanc, les mêmes que les Américains utilisent dans leurs téléfilms pour quadriller les lieux des crimes les plus sérieux. Mais, chose étonnante en territoire pourtant gaulois, sur ces rubans dits de « gel des lieux » dans le jargon policier, étaient inscrites des phrases en trois idiomes qui ne relevaient d’aucun patois connu dans l’hexagone : le chinois, le viêtnamien et l’anglais.
Ainsi, tel un mouton guidé malgré lui vers l’abattoir dans des langues inconnues, tout de même protégé du soleil par des bâches dressées au-dessus de sa tête, l’électeur se dirige vers son devoir. Avec 40°C à l’ombre et vingt minutes de queue plus tard, c’est un mouton cuit qui pénètre enfin dans le minuscule hall du Poste d’expansion économique pour choisir son futur président sous un escalier.
Heureusement, cet expat’ ignore que l’ambassade de Phnom Penh est la plus grande d’Asie et dispose d’un immense salon de réception, en bout d’une superbe allée ombragée par les branches d’arbres presque centenaires. C’est là où, jadis, le bureau de vote était installé, alors même que le nombre d’inscrits au Cambodge était ridiculement bas. Ce salon est donc réservé aux happy few, et aux invités de marque du 14 juillet, ceux de 18 heures…
Ainsi donc l’expatrié dont les procurations de vote n’avaient pas été égarées dans les méandres d’une administration chère à Astérix, pouvait accomplir son devoir plusieurs fois. Il était alors dispensé de ressortir dans la fournaise et devait seulement s’imposer devant d’autres anonymes tout aussi cuits, impatients d’entrer dans le hall climatisé. Ces derniers n’appréciaient que modérément cette impolitesse. Et le pauvre assesseur devait alors s’excuser et expliquer que « le monsieur doit repasser pour cause de procuration ».
Puis, invité à sortir rapidement du hall par ces mêmes assesseurs, certes très sympathiques, mais totalement débordés, l’électeur quitte enfin son bout de France, toujours guidé par les deux rangées de rubans, regagnant un peu étourdi le trottoir de son pays d’adoption.
L’expat’ républicain est venu partager un moment civique avec ses compatriotes et montrer à ses enfants l’importance du droit de vote qui symbolise à lui seul la force de la République. Au bout du compte, il se sent transformé en mouton à la broche. Le moment de plaisir est devenu une corvée. On ne l’y reprendra plus !
Mais ce voyage en terre républicaine n’aura pas été vain, même si son candidat n’a pas été élu. En moins d’une heure l’expatrié aura perdu son complexe de ne pas consommer français, de ne pas participer au soutien de l’industrie française en général et automobile en particulier. Dans les cinquante mètres carrés d’ambassade qui lui étaient réservés, il aura noté que les deux véhicules aux plaques consulaires garées à l’ombre étaient de marques étrangères, Nissan et Chevrolet ; et il aura eu pleinement le temps d’apprendre à dire « not allowed area »** en viêtnamien et en chinois.
Finalement, les candidats avaient tous les deux raisons : « La France forte », « c’est maintenant »… Ou jamais !
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