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fredericamat

Le Cambodge, terre d'aventures et d'aventuriers



Le Cambodge est désormais un pays "fréquentable", un royaume à peu près comme les autres plus ou moins bien installé dans l’Asean. Les expatriés qui vivent ici ressemblent à n’importe quels autres expatriés des pays voisins. Rien, ou presque, ne différencie un patron d’entreprise, un restaurateur, un employé de bureau à Phnom Penh de ses homologues à Bangkok ou à Hô-Chi-Minh-ville. Ce ne fût pas toujours le cas. Il fût une époque où les étrangers qui vivaient au Cambodge étaient à part, sinon marginaux, du moins originaux.


Car il fallait l’être, un peu à part, pour vivre dans un pays encore en guerre, où le danger se dissimulait à chaque coin de rue sombre. Pascal était un expatrié de la première heure. Il ne vit plus au Cambodge. Ancien plongeur de combat dans les commandos marines ; puis scaphandrier dans une multinationale, employé pour de gros travaux sous-marins. Pascal est arrivé au Cambodge au début des années 1990. Son histoire est étonnante.

Je lui laisse la parole :



« Dans ces années-là, le Cambodge était un véritable Far-West dans tous les sens du terme. Le pays partait de zéro dans tous les secteurs d'activités. La plupart des provinces étaient encore sous contrôle de bandes armées, moitié Khmers rouges, moitié bandits de grand chemins. Les étrangers, même les moins téméraires, aimaient à jouer les cow-boys : beaucoup étaient armés. Parfois lourdement. D’ailleurs, lorsqu’on entrait dans un bar comme le Sharky’s ou feu le célèbre Martini, des casiers en bois étaient posés à l’accueil pour y laisser nos armes. Le portier, lui même armé, donnait un numéro sur un rond de plastique et en accrochait un autre au pistolet, au revolver ou à la mitrailleuse (certains ne se refusaient rien) qu’il rangeait à côté des autres. Un responsable du service culturel de l’ambassade de France ne se déplaçait jamais sans son Magnum 357, le flingue de l’Inspecteur Harry, pour ceux qui connaissent. Il en était très fier ! Il n’était pas le seul : un autre expat' était un grand collectionneur d’armes de guerre ; grenades, mines et lance-roquettes compris. Tout cet arsenal et plus encore se vendait librement et pas très cher sur un marché situé à la sortie de Phnom Penh, route de Pochentong ; le marché Teuk Kla. Il fallait compter environ 50 USD pour une Kalachnikov et un peu plus pour une arme de poing type 54, un 9 mm soviétique avec l'étoile communiste incrustée sur la crosse. Petit, maniable, léger, mais vraiment pas précis...

Les gardes des établissements de nuit étaient de véritables durs, souvent des militaires en activités. Ce sont eux qui approvisionnaient les étrangers en munitions, le soir, dans les bars de la ville. Multicartes, ils ne proposaient pas que des boites de cartouches. Marijuana, crack, brown, ice, et j'en passe, s'ils n'avaient pas ce que vous cherchiez, ils vous le trouvaient en moins de temps qu'il n'en fallait pour le demander. Tout n'était pas à vendre, mais tout avait un prix.

Le Cambodge de cette époque était un monde hors du temps, une sorte d'île fantastique, Tatoo et Monsieur Roarke en moins. Mais, revers de la médaille, il ne se passait pas non plus un soir sans que des étrangers se fassent braquer en rentrant chez eux. En général, cela se passait bien. Sauf pour certains...

Coursier au journal Cambodge Soir le jour, Chan officiait la nuit comme moto-taxi à la sortie du Martini. Chan était armé. Et surtout il était connu des petites frappes qui gravitaient autour de cet établissement de renommé internationale. Beaucoup d'expats' francophones utilisait ses services pour rentrer au bercail. Il conduisait d'une main, le flingue dans l'autre...



Nous n’étions pas nombreux les plongeurs professionnels dans le coin, et nous étions très sollicités pour des boulots légaux et d’autres beaucoup moins. En ce temps là, la methamphétamine était une drogue très consommée en Thaïlande. Or, elle était fabriquée, "cuisinée" on dit – ceux qui ont vu la série Breaking Bad comprendront - sur des bateaux de pêche au large des côtes de Sihanoukville. La technique était au point. Les bateaux partaient à vide avec à leur bord les chimistes et un plongeur, moi en l’occurrence. Arrivés en haute mer, ils repéraient un point GPS (c’était le tout début de ces engins) et je plongeais avec un paquet de bouteilles. Mon rôle était de remonter des caissons étanches qui contenaient le matériel du petit chimiste. Ces caissons avaient été attachés à des corps morts préalablement coulés sur des hauts fonds, en pleine mer. Pour cela on se servait de "parachutes", des baudruches que l’on gonflait en envoyant l’air des bouteilles. Les caisses remontaient seules. Une fois le matériel à bord, on partait vers une autre destination, encore plus au large où se trouvaient d’autres bateaux venant de Thaïlande. Ces navires transportaient, quant-à-eux, les produits de base servant à la cuisine. Je pense qu’ils les sortaient également de l’eau car ils avaient aussi des plongeurs à bord. Les bateaux se mettaient à couple. Ils faisaient leurs affaires. Nous, on buvait des bières et on pêchait. Une fois leur travail terminé, on retournait de là où on venait et on remettait le tout sous l’eau, solidement amarré. Et les bateaux rentraient au port, vides. Sauf ceux qui partaient vers la Thaïlande. Mais je pense qu’ils mettaient également sous l’eau, quelque part, le plus gros de leur marchandise. Bref, c’était un travail simple et très bien payé. Mais ce n’est pas tout. A cette époque, les temples isolés du complexe d’Angkor étaient fréquemment pillés. Les trafiquants savaient très bien s’organiser et ils faisaient sortir leurs statues ou autres sculptures par la mer également. Ils les mettaient dans des filets de fer qu’ils immergeaient et traînaient sous l’eau à l’arrière de bateaux. Une fois, le filin a cassé et leur cargaison a coulé à pic. Ces bateaux en direction de la Thaïlande également pou parfois de Singapour, ne s’éloignaient jamais trop de la côte, donc il n’y avait pas trop de courants ni de fonds. J’ai ainsi passé une semaine à plonger pour tenter de retrouver leur trésor perdu car ils n’avaient pas immédiatement réagi lorsque le câble avait lâché. Finalement on a mis la main dessus. Et ils sont repartis avec. C’était assez malin en fait, car personne ne surveillait ces bateaux de pêche qui partaient chaque nuit du port de Sihanoukville. Et ceux qui étaient censés surveiller touchaient un billet pour regarder ailleurs...


Rien de tout cela n’était très moral bien entendu. Mais si je ne l’avais pas fait, un autre aurait pris ma place. C’était une autre époque. Une époque où la réalité dépassait chaque jour un peu plus la fiction. Et puis, ceux qui avaient des scrupules ne prenaient pas leurs vacances au Cambodge ».

Pascal, surnommé Kingkou (la grenouille en Khmer) a vécu d’innombrables autres aventures tout aussi étonnantes, comme celle qui se déroule à bord d’un énorme hélicoptère soviétique, un MI16, en compagnie d’Igor, un drôle de pilote venu d’un pays qui n’existait plus...

Mais ça, c’est une autre histoire.


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