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L'amulette aux yeux rouges

Dans un vieux monastère isolé dans la rizière ensoleillée de Samrong, province frontalière avec la Thaïlande, se trouvait un Kru, un maître gardien des légendes et des rites. Ce Kru était l’un des rares fabriquant encore vivant de Phra Ngang. Ces petites amulettes, à qui les Cambodgiens et leurs voisins siamois prêtent de nombreux pouvoirs, seraient la représentation du « dieu des montagnes ».



Pour ce vieux Kru qui se retirait souvent pratiquer la méditation sur les monts Kulen, ce dieu était une sorte de Bouddha imparfait, qui ne serait pas parvenu à atteindre totalement l’Eveil. Mais on trouve, dans d’autres provinces, d’autres origines à ce personnage. Phra Ngang serait ainsi un ami et disciple du Bouddha qui, durant sa vie, ne pouvait méditer en paix à cause de sa troublante beauté : de nombreuses femmes venaient en effet s'offrir à lui bien qu'il soit moine. Il aurait alors fait le vœu de perdre sa beauté pour pratiquer en toute sérénité le Dharma et se serait changé en un nain hideux pourvu de gros yeux rouges globuleux et de longues oreilles. Ainsi, toute sa vie, il parcourut les villages sous cette forme répugnante afin d’enseigner le Dharma aux pauvres. À sa mort, il aurait souhaité venir en aide, depuis l’au-delà, à ceux qui porteraient son effigie. Cela explique l'aspect étrange des amulettes Phra Ngang. Une dernière version estime, au contraire, que Phra Ngang serait le fantôme d'un grand guerrier mort au combat en protégeant les siens et déterminé à protéger tous ceux qui le lui demandaient. Il aurait ainsi atteint le niveau d'un Déva et pourrait se manifester à travers ses images (statues et amulettes). Si cette dernière version est la mieux documentée, la majorité des Kru réalisent leurs Phra Ngang avec un aspect se rapportant à l'avant dernière version.

Ainsi, ces amulettes auraient des pouvoirs magiques. Elles servent tantôt de boucliers contre les esprits malsains, les sortilèges et les accidents ; tantôt elles fonctionnent comme un charme pour rendre irrésistible celui qui en fait la demande, lui permettre de s’enrichir avec modération, ou le guéri d’affections bénignes. Or, mettait en garde le Kru, la pratique correcte du culte du Phra Ngang demande une certaine rigueur, mais est très positive si on l'entreprend « avec un coeur et une motivation pure ». Le Phra Ngang se transforme ainsi en compagnon de vie pour celui qui le porte sur soi, généralement dans un petit sac de tissu. Il est censé avertir des dangers approchants et donner des intuitions positives.

Il est recommandé, par contre, d’éviter tout langage vulgaire, et surtout de ne pas maudire quelqu'un ou de le menacer. En effet le Phra Ngang pourrait prendre ces paroles pour argent comptant et s’acharner sur le destinataire de la malédiction. Ce qui aurait un effet boomerang terrible. Car toute mauvaise action projetée vers quelqu’un revient obligatoirement amplifiée vers son auteur. Certains Kru utilisent la force noire de l’amulette et s’en servent pour nuire. Ils sont nombreux, ces sorciers sans scrupules, et peut être sans véritables talents, à répondre aux demandes de très nombreuses personnes qui désirent faire du mal à leur ennemi. Ces Kru disent pouvoir même protéger contre le retour de bâton en confectionnant d’autres amulettes.

« La tentation de l’Orient », disait Teilhard de Chardin, c’est la tentation panthéiste. C’est croire à la sainteté des paysages, à la beauté des forêts, à la fulgurance de la lumière, à l’esprit des Phra Ngang qui murmurent à votre oreille que vous êtes fils du soleil et du vent. Lui qui avait parcouru l’Asie avait ressenti cet abandon de l’idée rédemptrice et cet appel incessant de la nature et de sa divinité possible. Car, « les sages ne pleurent ni les vivants, ni les morts. Tout ce qui vit est éternel. L’esprit est impérissable, éternel, indissoluble ».

Si l’expatrié est généralement hermétique à ces pratiques, cela n’empêche pas qu’elles font partie intégrante de la vie des Khmers, pour qui la magie est comme la pluie, un phénomène naturel. Pourtant, il est des expatriés occidentaux qui tiennent, au fond de leur poche, une amulette bénie par un Kru ou un papier rouge soigneusement plié sur lequel est dessiné un personnage recouvert de signes sanscrits. Ceux-là n’en parlent rarement aux autres expats’, de peur des moqueries. Mais à la nuit tombée, ils s’installent à genoux, prennent leur Prah Ngang à deux mains et psalmodient le bref Khata nécessaire à la pérennité de la protection.

D’autres, au contraire, ignorant totalement ces pratiques rituelles, sont parfois victimes d’un charme maléfique, généralement lancé par un ou une employée afin d’obtenir une meilleure position ou plus encore par une petite amie locale. Et parfois même par les deux.

Que le charme agisse ou non, est une autre question. Certains Cambodgiens estiment souvent que le fait que certains expats’ perdent totalement la tête quelques mois seulement après leur arrivée, s’explique par le fait qu’ils sont victimes de cette magie.

Ceux qui ont, durant leur enfance, voyagé sur les flots des écrits d’explorateurs, voyageurs au long cours, et qui sont baignés de spiritisme, voire d’ésotérisme, regarderont ce sujet d’un œil intéressé, curieux même. Les autres, tout pétris qu’ils sont du dogme des religions judéo-chrétiennes et victimes d’une éducation cartésienne, n’y verront que charlatanisme.

La marche vers l’Orient n’est pas la même pour tous. Le soleil des tropiques éblouit parfois ceux qu’il est censé éclairer.

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