C'est devenu un réflexe. Il suffit d'une information évoquant quatre cas de Covid échappés dans la nature et la toile cambodgienne s'affole ! Les rumeurs les plus folles circulent depuis hier sur les réseaux sociaux. Le soufflé est en train de monter. Il retombera rapidement. Mais en attendant, les voyants sont au rouge.
Tellement que le Premier ministre a dû lancer un appel au calme !
Rappel des faits:
Le ministre des affaires étrangères hongrois est venu début novembre faire une visite éclair au Cambodge. Il a rencontré le Premier ministre Hun Sen et été en contact avec de nombreux membres du gouvernement. Lors de son transit en Thaïlande, le ministre hongrois est testé positif au virus chinois. Branle-bas de combat immédiat au Cambodge : 900 personnes qui ont été de près ou de loin en contact avec des gens qui ont croisé des personnes qui ont aperçu le ministre, seront testés. Sur la totalité, seuls 4 seront déclarés positifs. Résultat : isolement pour tous et parce qu'on n'est jamais trop prudent, fermeture provisoire à Phnom Penh et à Kandal des écoles et de certains établissements de rassemblement comme les salles de sport et les karaokés. Rien de plus !
Par contre, sur Internet c'est une autre histoire: "Le Covid est là, il est reparti ! Protégez vous ! On parle déjà de centaines de nouveaux cas", pouvait-on lire sur une page Facebook. D'autres annoncent que toutes les écoles du Royaume vont devoir fermer.
Ce soir 10 novembre, la rumeur court qu'il ne sera plus possible de circuler d'une province à une autre très prochainement. Des expatriés en visite à Phnom Penh se sont alors rués dans un taxi pour rentrer à Siem Reap en inondant leur page Facebook de cette fake news ! Total, les téléphones chauffent ; chacun cherche à connaitre les sources, d'autres confirment car quelqu'un connaît quelqu'un dont le patron a ouï dire de la part d'une personnalité, etc.etc. D'autres estiment que dans le doute, il faut vite rentrer chez soi ! En effet, soit-disant que "ça sauve des vies" !
Il n'est est rien ! Les 900 personnes ont été déjà testés deux fois et aucun nouveau cas n'est apparu. Les frontières ne fermeront pas entre les provinces et les écoles de Siem Reap et d'ailleurs resteront ouvertes. Il existe des protocoles mis en place par le gouvernement qui, effectivement, envisagent des mesures plus strictes dans le cas où la situation échapperait à tout contrôle. Ce qui est loin, aujourd'hui, d'être le cas !
La rumeur adore le Cambodge, pays dans lequel elle se propage à la vitesse du tweet !
Il y a quelques années déjà, deux évènements mémorables ont eu comme origine des faits non avérés. Mais la population les a crus elle les a fait circuler. A une vitesse prodigieuse. Les conséquences ont été pour l’une d’elle dramatique et pour l’autre, cocasse.
Le 29 janvier 2003, une foule de personnes jeunes et moins jeunes issus de tous horizons se lève comme un seul homme en quelques heures, se rassemble puis décide de sillonner la ville pour détruire méthodiquement une vingtaine d’entreprises thaïlandaises implantées à Phnom Penh. La raison à ce saccage en règle ? Deux rumeurs. La première a été publiée comme une affirmation dans un journal quelques semaines auparavant : Une actrice thaïlandaise aurait dit ne pas vouloir venir se produire au Cambodge tant que le gouvernement n’aura pas rendu pas à la Thaïlande les temples d’Angkor.
Le journaliste a cru entendre quelqu’un dire qu’il croyait savoir…
Impossible à contenir, ce bruit enfle et attise les colères. Le journal qui avait publié les pseudo déclarations de l’actrice thaïe affirmera plus tard ne jamais avoir vérifié sa source qui émanait d'un quidam qui avait entendu dire quelqu’un qui croyait savoir… Jusqu’à ce jour de mercredi où le chaudron explose. La foule va d’abord incendier un hôtel qu’elle croit appartenir à des Thaïlandais. Les touristes auront la peur de leur vie et se retrouvent sans rien sur le bord du trottoir face à une foule en liesse. Le célèbre supermarché Thai Huot, pourtant appartenant à un Cambodgien, craignant l’amalgame, supprime immédiatement le Thai de son enseigne.
On ne sait jamais, sur un malentendu, comme dirait l’autre…
55 morts… virtuels
En fin de soirée, c’est une auditrice d’une radio libre qui intervient sur les ondes pour déclarer qu’à Bangkok, une foule venait de pénétrer dans les locaux de l’ambassade du Cambodge et avait tué plusieurs employés (le chiffre montera jusqu’à 55 personnes). La rumeur se propage, se déforme, enfle et parvient ainsi jusqu’aux manifestants qui, fous de rage, se déversent sur le boulevard Monivong et mettent le feu à l’ambassade de Thaïlande. Vengeance ! L’ambassadeur a juste le temps de se jeter dans le Mékong. Il sera repêché par les gardes d’une autre ambassade, voisine, celle du Japon !
Le SRAS (le lointain cousin du Covid) et les haricots magiques
Quelques mois plus tard, en mai, alors que l’épidémie de SRAS (pneumonie atypique) frappe l’Asie en provenance de Hong Kong, une rumeur se déclenche qui provoquera une panique sans précédent :
Un enfant qui vient de naître le jour même dans une famille cambodgienne émigrée aux Etats-Unis, se serait exclamé qu’à minuit, heure locale, un vent venu de Chine répandrait le SRAS au Cambodge. Le seul moyen de s’en prémunir serait de se confectionner et d’ingurgiter un dessert fait à base de pousses de soja, de haricots et de sucre de palme. Les marchés rouvrent en catastrophe, la quête aux haricots démarre en trombe, faisant décupler son prix au kilo. Surtout, chacun prévient parents, amis, proches. À Siem Reap, les patrons de restaurants demandent aux touristes de rentrer chez eux et ferment boutique. Les standards téléphoniques explosent. Plus un coup de fil n’est possible. Panique nationale ! Quelques minutes avant minuit, des bourrasques de vent balayent la cité des temples. Le SRAS arrive, il est là. Lorsque certains expatriés ont osé, les jours suivants, se moquer de cette noyade dans ce verre d’eau, certains Cambodgiens rétorquèrent que le pays avait été sauvé de justesse. En effet, ses habitants s’étaient immunisés de justesse grâce à la potion aux haricots magiques…
A la suite de cette panique nationale, le gouvernement décida de créer un comité de contrôle des rumeurs. Il était chargé de mettre un terme très rapidement à toute nouvelle rumeur avant qu’elle n’ait des conséquences irrémédiables.
A cette époque Facebook n’existait pas encore ! Il est aujourd’hui devenu le véritable centre de contrôle des rumeurs ; l’autre ayant rapidement disparu. Quelque part, Facebook a canalisé les rumeurs. Il les a emprisonnées… Elles naissent, vivent un temps sur le réseau puis meurent comme elles sont venues, sans trop jamais sortir de ce programme informatique.
On peut appliquer à la rumeur ce que Beaumarchais, dans le Barbier de Séville, dit de la calomnie: « D'abord un bruit léger [...] pianissimo, murmure et file et sème en courant le trait empoisonné. [...] Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine et rinforzando, il va le diable. [...] Vous voyez la [rumeur] se dresser, siffler [...] et devenir un cri général, crescendo public, un chorus de haine et de proscriptions ».
Jusqu’à la prochaine…
Comments