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fredericamat

Chronique du futur

En fouillant dans mes archives je suis tombé sur cette chronique. Elle est la dernière publiée dans Cambodge Soir Hebdo, lors de sa fermeture en septembre 2010. J'imaginais alors un Phnom Penh du futur, de 2025 plus exactement. Nous y sommes presque. Il y a dix ans, les investisseurs Coréens étaient plus importants que les Chinois, mais on sentait ces derniers sur les starting blocs. Je ne m'étais finalement pas beaucoup trompé. Je vous livre cette chronique telle quelle...






Cette chronique, la dernière du Barang, est une pure fiction pour la simple raison qu’elle se déroule dans le futur.

C’est sur l’aéroport international de Kompong Speu désormais banlieue de Phnom Penh qu’atterrit le Boeing en provenance de Paris ce mardi 30 septembre 2025. La capitale a changé de nom. Elle est devenue The Penh, tout comme Angkor City a remplacé Siem Reap. Ces modifications sont récentes, détaille un article du Cambodia Monthly, le dernier journal en langue anglaise du royaume, vendu 6 Yuans (soit l’équivalent d’un dollar, cette monnaie ayant été remplacée au Cambodge par le Yuan). Le magazine format A4 en bichromie est noyé au milieu de nombreuses publications en chinois et en coréen, dans le rayonnage de la librairie de cet immense hall des arrivées internationales.

Dans le Cambodia Monthly de septembre 2025, la sauce soja Kikkoman s’affiche toujours en pleine page, tandis que de nombreuses autres sont garnies d’encarts d’offres d’emplois pour des responsables de projets d’agences onusiennes. C’est rassurant : les bonnes choses ne vieillissent jamais.

Le nouvel aéroport est le fruit d’une joint-venture Cambodiano-Coréenne. Il est relié au cœur de ville par un monorail ultra-moderne offert en 2021 par la Corée réunifiée, comme l’indique une plaque commémorative. Au bout de quelques minutes, le monorail longe les tours de verre du quartier des affaires, là où, jadis, se dressait l’ancien aéroport de Pochentong rasé en 2017. C’est au cœur de cette City que vient de se terminer le chantier de la tour OSS 777, supplantant de plus de deux cents mètres la tour 555, un projet initié en 2010 pour permettre "aux Cambodgiens d’admirer leur ville de haut". Son inauguration se déroule dans quelques jours en présence de nombreuses personnalités politiques étrangères dont, fait exceptionnel, le Premier ministre français, Marine Le Pen. Le journal en parle. Il note qu’un vieux syndicaliste français, résidant à Angkor City de longue date, menace de s’immoler par le feu si la chef du gouvernement venait à poser un pied sur le sol cambodgien. C’est la première fois depuis 1995 qu’un représentant français de ce rang se déplace officiellement au Cambodge.

En effet, les relations entre les deux pays s’étaient assombries lorsque le groupe pétrolier Total avait perdu les dernières concessions dans le golfe du Siam ainsi que la totalité de ses stations services sur l’ensemble du pays. Puis le contact entre les deux nations s’était définitivement coupé lorsque la société gestionnaire des aéroports, dernière entreprise française encore implantée dans le royaume, avait vu son contrat annulé au profit d’une société coréenne.

Le temps est passé, l’eau a coulé sous les ponts et les relations sont à nouveau au beau fixe entre les deux pays. C’est pour matérialiser ces nouveaux liens que Marine Le Pen est attendue. Le Premier ministre français profitera de sa venue pour inaugurer la nouvelle représentation diplomatique située dans une villa du quartier de Boeung Keng Kong, au 26CD de la rue 302. Quant à l’ancienne ambassade, elle a été transformée il y a quatre ans en terminus du Monorail. La station s’appelle « le Portail », en français. La rue de France, toute proche, a tout de même été rebaptisée la même année « Kim Jong Il Street », en hommage à la réunification réalisée quelques mois après la mort du « cher dirigeant ». Quant au bâtiment de l'ancien Centre culturel français, il abrite les bureaux de McDonald, la célèbre marque de fast-food made in America, largement implantée au royaume.

Sur l’avenue qui court sous le monorail, la circulation automobile est figée dans un immense bouchon, mais des milliers de motos se faufilent entre les véhicules de luxe. La ville a des allures de Bangkok des années 2000. Dans un entrefilet du Cambodia Monthly, quelques lignes annoncent que des experts ont finalement décidé la destruction de la structure de la Gold Tower 42, dont les travaux avaient cessé en août 2010. C’était un mois avant la fermeture de Cambodge Soir Hebdo. C’était il y a 15 ans. Jour pour jour.

À l’époque, personne n’avait réalisé que l’insignifiante disparition du dernier journal d’information en langue française de la région annonçait la fin d’une époque. La chute de cette minuscule pierre avait rapidement été suivie par celle de l’édifice tout entier, laissant la place à des nations plus puissantes, plus riches et surtout plus ambitieuses. L’effet papillon en quelque sorte.


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