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Cambodge, un drame sans fin - Chapitre II

Coup d’état - 5 et 6 juillet 1997

L'histoire se répète



Le bureau de l'agence était calme. Les dépêches qui tombaient sur les télescripteurs, ces grosses imprimantes sur les rouleaux desquels défilent des dizaines de mètres d'un papier jaunâtre, concernaient presqu'exclusivement Hong Kong. La ville de Bruce Lee allait connaître dans quelques jours un évènement unique : la Chine récupèrerait l’île après avoir été une colonie britannique durant quatre-vingt dix neufs ans. Le 1er juillet 1997, en présence du Prince Charles, la Chine fêterait l’évènement. De manière grandiose. Tous les journalistes que comptait la planète avaient réservé leur place des années auparavant. Alors qu’il s’agissait davantage de congés payés plutôt que d’un travail difficile, Benoît avait échangé sa place avec un jeune confère au dernier moment, préférant s’envoler pour le Cambodge. Son flair lui disait qu’il allait s’y passer « quelque chose d’intéressant ».

Il me demanda pourquoi je n'y étais pas. Je lui répondis que le siège Asie de l’agence étant là-bas, ils n'avaient pas eu besoin de seconds couteaux. Il n’y avait que les stars, les pistonnés et les anciens, qui s'étaient vus offrir le voyage. Confortablement installé dans le canapé en Skaï blanc usé qui trônait non loin du bureau de Matthew, le chef d’agence, Benoît regarda autour de lui. Le premier étage de cette maison d’habitation transformée en agence de presse, située juste derrière le palais royal, rue 214, ressemblait pour l’heure davantage à un entrepôt de supermarché. Packs de bouteilles minérales en grosse quantité, cartons de nouilles déshydratés, boites de Vache-qui-rit et de Corned-beef, rouleaux de papiers toilette, sachets de viande séchée, etc. Plus de nombreuses bouteilles de Gin, le triple de canettes de Tonic et une bonne dizaine de caisses de bière. Bref, tout le nécessaire pour tenir un siège. Dans le garage, au rez-de-chaussée, des dizaines de jerricans de gazole pour le groupe électrogène.

Je fixa cette légende de la photo assise devant moi et lui fît un résumé de la situation. Après tout, j'étais censé être un expert du Cambodge ! Et dans ce petit royaume, rien n'allait plus depuis un certain temps. En ces premiers jours de juillet, la tension était montée d’un cran dans les rues de la capitale. Des chicanes constituées de sacs de sable avaient été installées sur les grands boulevards et les résidences de tout ce que Phnom Penh comptait comme personnalités politiques, militaires et policières, s’étaient transformées en bunkers, certaines protégées par des filets anti-grenades. La ville avait des allures de Fort Knox. Des centaines de militaires en treillis et en armes lourdes se trouvaient absolument partout.

Le 17 juin dernier dans la nuit, pendant près de deux heures, en plein centre-ville, au coin du boulevard Norodom et de la rue 200, les gardes du corps du prince Ranarridh s’en étaient pris à ceux de Hok Lundy, l’un des deux ministres de l’intérieur. Matthew avait d’ailleurs pris une balle dans le bras en traversant la route. Il était à l’hôpital en ce moment et Song, notre secrétaire, gardien, homme à tout faire, était allé lui porter des oranges. Ce soir là aurait pu être fatal à notre collègue Arnaud du Cambodge Soir. Les balles traçantes avaient brièvement sifflé au dessus de sa tête ! Nul ne saura jamais s'ils le visaient ou s'ils voulaient seulement le faire déguerpir. Arnaud avait eu le malheur de déclencher son flash depuis sa planque à un coin de rue. Une erreur qui aurait pu lui coûter la vie.

Deux gardes du prince avaient tout de même été massacrés durant ces escarmouches : l’un d’eux s'étant fait fusiller dos à un mur à bout portant. Une véritable exécution ! Les assaillants avaient vidé tous les chargeurs sur le pauvre type ! Le lendemain les curieux n’en finissaient pas de contempler ce coin de rue totalement tapissé de sang; des morceaux de crâne et de cervelle jonchant toujours le trottoir. Sur les 14 roquettes B-40 tirées lors de ces festivités nocturnes (les journalistes comptent ce genre de détails), une avait atterrit dans le jardin de la résidence de l’ambassadeur des Etats-Unis. Kenneth fêtait alors son anniversaire avec des amis. Heureusement la charge creuse n'avait pas explosé. Kenneth est d'une nature joviale et, même s'il avait servi au Viêtnam en tant qu'ancien officier, il avait protesté le lendemain matin. Pour la forme.

Lorsque je mis un terme à mon énoncé, Benoit me dévisagea et m'avoua ne pas regretter d’avoir choisi Phnom Penh au lieu de Hong Kong. Il souria même devant notre stock de bouteilles de Gin. Le feu d’artifice, c’est dans le ciel de Phnom Penh qu’il va avoir lieu. Et nous, on sera aux premières loges, me lança même l'habitué des situations de crise.

Au matin du 5 juillet 1997, la capitale du Cambodge allait se réveiller au son des obus tirés depuis les quelques chars de combats soviétiques T-54 qui composaient le maigre arsenal de l’armée cambodgienne fidèle au prince Ranariddh.

Le coup d’état allait enfin démarrer !

Et durer 48 longues heures.

Les deux jours les plus intenses de toute ma carrière...


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