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Cambodge, un drame sans fin (Chapitre II)

Dernière mise à jour : 30 oct. 2020

Coup d’état - 5 et 6 juillet 1997

Benoît Gysembergh, gentleman photographe (1)


Benoît, « gentleman reporter » à Paris Match a été un monstre sacré du photo-journalisme. Grand, mince, belle gueule d’acteur de cinéma, deux Leica autour du cou et dans sa besace accrochée à sa ceinture, des dizaines de pellicules photos.

Ainsi équipé Benoît a couvert la quasi totalité des conflits armés sur cette planète durant trente cinq ans. Mais pas seulement : entre deux guerres il photographiait un peu tout, des hommes politiques aux faits divers.

Seules les stars l’ennuyaient.



Légende vivante pour qui s’essaie à la photographie, cet ami intime de Jacques Chirac qui adorait l’écouter raconter ses aventures, ce Dandy aussi raffiné, curieux et cultivé que téméraire, avait débarqué par surprise dans le bureau de l’agence de Phnom Penh un jour alors que juin 1997 touchait à sa fin. Chemise bleue à manches courtes, lunettes en écailles sur le nez, jean’s et mocassins usés, sourire charmeur aux lèvres. On était immédiatement devenus amis et cette amitié allait durer jusqu’à sa disparition, en mai 2013, deux ans seulement après être allé fourrer son objectif un peu trop près du réacteur de Fukushima.

Benoît était un orateur hors du commun. Contrairement à beaucoup de reporters célèbres que j’avais rencontré et qui s’inventaient des personnalités taciturnes, ne parlant jamais de leurs aventures, Benoît contait à merveille les siennes, comme le jour où il avait exfiltré de Cuba la propre fille de Fidel Castro.

Des aventures aussi nombreuses qu’extraordinaires.

En janvier 1992, je ne le connaissais que de nom et de réputation. Tout jeune journaliste je venais d’intégrer le bureau de Hanoi. Lui, se trouvait en vacances avec son épouse à Hô Chi Minh-ville lorsqu’il reçut un coup de fil de son patron.

Jean-Jacques Anaud venait de terminer son dernier film, l’Amant, une adaptation cinématographique du roman de Marguerite Duras. Match avait alors décidé de consacrer un long article sur le sujet pour le numéro qui devait sortir le jour de la projection du film. Le journal demandait une chose impossible à Benoît : se rendre à Sadec, petit village du sud Viêtnam ou avait vécu la romancière, et ramener une image de feu l’amant !


Comment retrouver une photo d’un gars qui, s’il avait existé réellement, était sans doute mort depuis longtemps ? Certes le livre de Duras a été l’un des plus grand succès de son époque et avait même reçu le prix Goncourt en 1984. Mais d’image de l’amant, personne n’en avait jamais vu. Et cette rencontre, sur un bac lors du passage d’un bras du Mékong, entre Marguerite Duras alors âgée de 15 ans et cet homme, datait tout de même de 1928 !

Mission quasi impossible.


Le Viêtnam s’était certes ouvert au tourisme dès 1989, mais dans la pratique, la police ne voyait pas d’un très bon oeil les allers et venues de ces premiers visiteurs étrangers. Un laisser-passer d’une journée pour sortir de l’ex Saïgon était même nécessaire. Benoît n’avait qu’un visa de tourisme en poche et si la police l’arrêtait, c’était l’expulsion immédiate après un passage par la case prison. Mais il en fallait plus pour effrayer le bonhomme. Non, ce qui lui faisait le plus peur, c’était de rentrer bredouille ou pire, de ramener le mauvais cliché, celui d’un autre type que le Chinois du livre.

N’importe qui pouvait lui vendre pour une poignée de dollars n’importe quelle photo d’un jeune homme et lui dire que c’était lui. Comment savoir s’il s’agissait de vrai ? Puisque, hormis Duras, personne ne l’avait jamais vu !

Il loue alors une voiture avec chauffeur, embarque un guide officiel et file vers Sadec. La maison de l’amant qui lui est présentée par son guide est devenu un poste de police. La photographier est strictement interdit. Il faudra attendre 2006 pour que le pays l’ouvre au public et classe cette demeure en « vestige culturel » puis quelques années plus tard en « site historique national ».

Mais en 1992, c’est une autre histoire. Benoît parcourt de long en large le village et fait courir le bruit qu’il recherche une photo de ce « Chinois » qui a fricoté avec une jeune française il y a bien longtemps. Rapidement, on l’oriente vers une maison qui, lui dit-on, appartient à des descendants de la famille du Chinois. On lui sort des vieilles photos. De Huynh Thuy Le, le fameux amant, il n’y en a qu’une. L’image en noir et blanc est en bon état mais la marie-louise qui l’entoure est déchirée sur le pourtour. Au bas, est inscrit en français : « Mon portrait, 19 avenue de Clichy ». C’est tout. Le jeune homme a bien un style chinois. Il est distingué, élégant même, ses cheveux sont gominés comme cela se faisait à l’époque. Il porte une chemise blanche, une cravate à rayures et un costume gris. Mais cela pourrait être n’importe qui Benoît insiste énormément auprès de la famille. On lui assure que c’est bien lui. Il reste très méfiant mais sors tout de même son appareil, pose la photo sur un coin de table et fait quelques copies à main levée.

Puis c’est le retour à Ho Chi Minh-ville avec toujours cette idée fixe.

Celle de s’être fait avoir.




Arrivée à l’hôtel s’ensuit une longue conversation téléphonique avec le directeur de Match.

Ce dernier lui demande de certifier qu’il s’agit bien de l’amant. Or Benoît ne le peux pas. L’enjeu est de taille. S’il confirme que c’est bien lui, Match le met en couverture et c’est alors un scoop fabuleux comme seul cet hebdo en a le secret. Or, au fond de lui, il ne peut y croire. L’aventure était bien trop facile.

Benoît passe sa journée à chercher des « pigeons ». C’est comme cela que l’on appelait, dans le jargon des photographes, des personnes qui ramenaient les images des photographes professionnels dans leurs bagages. A cette époque pourtant encore récente, le format numérique n’en est qu’à ses balbutiements et tous les photographes travaillent uniquement en argentique. C’est donc à un couple de français qui rentre le lendemain sur Paris que Benoît confie son unique rouleau de pellicule, non encore développé.

Il va même jusqu’à les accompagner à l’aéroport pour être certain qu’ils ne ratent pas leur avion et dix fois il s’assure que le film est bien en sécurité dans leur bagage à main. Il leur explique qu’un coursier sera à leur arrivée et tente de leur faire comprendre toute l’importance de leur mission. Ca n’a pas été facile de trouver des gens qui acceptent. Ils avaient tous peur que je leur fasse transporter de la drogue, se souvient Benoît en riant. Mais l’image est bien arrivée. Dernier coup de fil du patron. Il voulait la confirmation que c’était bien l’amant. Il désirait tant mettre cette image en couverture. Ce ne sera pas le cas. La photo n’occupera qu’une pleine page intérieure en illustration de l’article.

La semaine suivante, le journal se retrouve dans les kiosques et Benoît termine ses vacances, mais il ne peut s’empêcher de penser à ce Chinois ! Les jours passent. Le film est sorti en même temps que le journal. Les ventes ont été bonnes. Puis dans la semaine, Marguerite Duras est l’invitée d’une émission télé pour parler du film. Elle n’a pas aimé l’adaptation de son roman, et s’est d’ailleurs brouillée avec le réalisateur durant le tournage. En direct à la télévision, elle critique le choix d’Anaud concernant le personnage de l’amant. Elle explique que, dans la réalité, son amant ne ressemblait absolument pas au personnage. Et, là, devant des millions de téléspectateurs, elle prend son cabas et en sort le Paris Match de la semaine ouvert à la pleine page de sa photo. Elle le brandit face caméra et elle dit : « Tenez ! Regardez à quoi il ressemblait mon amant ! » La suite ? Benoît reçoit un coup de fil du patron. Semaine de congés supplémentaire, frais illimités !

Même s’il n’y a aucun doute ; même si ce portrait est aujourd’hui la carte postale la plus vendue dans le Delta du Mékong, Benoît ne parviendra jamais à accepter totalement l’évidence. Il avait trouvé l’introuvable et c’est peut être pour cela qu’il n’a jamais voulu y croire vraiment.

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