Mercredi 3 septembre 1997 – Crash du vol VN815, 64 morts
La Taïwanaise aux Mickey
Il est des jours où chaque évènement anodin se trouve à jamais gravé dans la mémoire. Comme un vieux disque dur sur lequel sont restés enregistrés des dossiers du passé. On les croyait effacés. Ils sont intacts. Je suis tombé sur ces vieilles photos en rangeant des documents. Et, en un clic, tout est revenu.
Le menu du repas de midi, la marque des bières. L’heure à laquelle la pluie s’est mise à tomber. La hauteur des flammes, « plus haute que les palmiers ». Et le nombre de cadavres.
La soupe vietnamienne, une Pho dégustée à la terrasse d’une des nombreuses “cantines“, ces gargotes de rues de Phnom Penh. Tables et chaises de fer pliantes indubitablement de couleurs rouge ou bleu, posés sur le trottoir. Et une salle, largement ouverte sur la rue, garnie d’autres tables, en Formica celles-là, avachies sous des ventilateurs plafonniers épuisés, noircis de poussière agglutinée. Au-dessus du carrelage recouvrant les murs sur un mètre de hauteur environ, des posters de publicités. Pour des marques de bière ou des boissons miracles “rendant fort”, et des auto-collants ventant « the taste of France » des paquets de cigarettes Fine ou Alain Delon. Atmosphère particulière dans ces gargotes typiques des villes du Cambodge où le menu est limité, mais pas le choix des bières, toujours chaudes, servies avec de bons gros morceaux de glaçons concassés aux invisibles amibes.
Le pluie s’est mise à tomber vers 13 heures. Nous avions juste eu le temps de trouver refuge dans ce restaurant. Et de commander nos soupes. Septembre est le mois où il pleut le plus. De violentes averses tropicales formées de grosses gouttes qui s’écrasent bruyamment sur le sol brûlant après un coup de vent de quelques minutes précédent l’apparition de nuages noirs dans le ciel bas. Avant le déluge, la température chute et le sable amassé sur le bord des routes se soulève en tourbillonnant. Le déluge succéda à l’averse. Vers 13 heures 30, les rues commencèrent à se gorger d’eau. Nous attendions une accalmie qui ne venait pas pour enfin quitter les lieux lorsque la sonnerie du téléphone portable de Rith retentit. Rith, journaliste, 25 ans, est issu de la première promotion de la section presse de l’URPP, la plus grosse université de Phnom Penh. Rith est un « Stringer » comme on dit dans le métier, un assistant : débrouillard informateur, francophone curieux. Il fera une belle carrière. Plus tard. C’est son épouse qui l’appelle. Bopha est assistante du directeur de l’aéroport de Pochentong. Francophone elle aussi, elle a dégoté cette place lorsque les Français ont reçu la concession des aéroports du Cambodge et rénové celui de Phnom Penh, à 14 kilomètres du centre-ville. Un avion de Viêtnam Airline vient de s’abîmer à l’atterrissage, dans les rizières. Il y a des flammes, « plus hautes que les palmiers » et de la fumée. C’est tout ce qu’elle sait. Avec cette pluie, impossible d’utiliser l’appareil photo sans une protection. Je demande un sac plastique au restaurant. Un coup de canif dans le sac. Ainsi fixé au pare-soleil, seule dépasse la lentille de l’objectif. L’appareil, recouvert de cet imperméable de fortune, se retrouve au sec. Le pare soleil protège un peu des gouttes mais il est nécessaire d’essuyer la lentille régulièrement. Par précaution, je raffle le contenu de papier toilette de trois boites en plastique colorées, sur chacune des tables, dépouillant ainsi les futurs clients de leurs précieux essuies-tout. Je vérifie que j’ai le plein de pellicules dans la poche intérieure de mon sac Domke… Et la Honda XR 250 file vers l’aéroport. Sous une pluie battante.
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