Mercredi 3 septembre 1997 – Crash du vol VN815, 65 morts
La Taïwanaise aux Mickey (2)
En bout de la longue avenue qui quitte la ville se dresse déjà une longue colonne de fumée noire. La pluie et les bourrasques de vent redoublent de violence. Nous longeons la haute clôture de grillage qui sépare la route de la piste d’atterrissage et cherchons un chemin pour accéder au lieu du crash. De toutes évidence l’avion a manqué le tarmac et s’est écrasé à quelques centaines de mètres de la bande de bitume, dans les rizières en dehors de la zone délimitée de l’aéroport. Totalement à l’opposée de là où nous sommes. La piste de terre qui mène au crash est en très mauvais état, bourrée d’ornières. Avec cette boue, la moto patine bien qu’équipée de pneus à crampons. Nous progressons lentement. Avec difficulté. Puis le chemin s’arrête sur un immense champs de rizières dont les parcelles sont séparées entre elles par d’étroites diguettes formant des rectangles de tailles différentes. Contraints d’abandonner la moto contre un palmier et de continuer à pieds, nous nous enfonçons dans la gadoue à chaque pas.
Il pleut désormais à torrents. La visibilité est réduite à cet écran d’eau devant nos yeux. Nous croisons des tas de gens. Une multitude de paysans, qui, contrairement à nous, ne vont pas vers les lieux du crash. Ils en reviennent. Certainement les habitants des environs. Pas de villages à proprement parler dans cette zone mais des cahutes plantées de-ci, de-là, le long du chemin de terre. Au vu du nombre de personnes présentes dans le périmètre, surtout des hommes, le crash a très rapidement attiré des tas de curieux de ce coin de la ville.
Tous portent quelque chose : des valises, toutes sortes de sacs, et des brassées de vêtements divers. Le spectacle est étrange, irréel même. Des paysans, un krama autour des hanches ou en shorts et torses nus sous une pluie battante qui charrient des valises Delsey dans les rizières détrempées en pleine campagne cambodgienne ! Je ralentis, sors mon appareil tout en marchant et commence à mitrailler. Parfois il s’arrêtent et posent en souriant, les bras encombrés de sacs de voyage. La situation est totalement ubuesque.
C’est grâce à ces photos et ceux de mes collègues que nous retrouverons, plus tard, ceux qui ont « récupéré » les boites noires de l’appareil (en réalité des sortes de boules ressemblant à des bonbonnes de gaz de couleur orange). Des officiers du gouvernement sont passés le lendemain du crash dans les agences de presse et dans tous les journaux pour demander une copie de toutes les photos prises ce jour-là. Ils ont ensuite publié dans la presse locale et à la télévision les images de ceux qui détenaient des pièces de l’avion, importantes pour l’enquête, dont ces fameuses boites noires. Il a été offert de l’argent en récompense à ces pilleurs. Jusqu’à 1500 dollars pour un enregistreur de vol.
Certains ont perdu la vie dans cette rizière et d’autres y ont fait fortune. Le malheur des uns… dit-on !
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