Mercredi 3 septembre 1997 – Crash du vol VN815, 65 morts
La Taïwanaise aux Mickey (3)
La carlingue, du moins ce qu’il en reste, est désormais en vue, à moins de 150 mètres de là. Malgré la pluie intense qui semble ne pas vouloir cesser, des parties de l’épave sont encore en feu.
Tout en photographiant les pilleurs chargés de produits divers provenant de l’avion nous arrivons à quelques mètres du but. Je baisse enfin mon appareil photo, sors la tête de mon sac plastique et la question que je pose à Rith est certainement la plus incongrue qu’il m’ait été de poser de toute ma carrière. – Il y a des morts ?
Rith me regarde avec un tel étonnement qui en dit long sur l’inconvenance de ma question. Il me répond avec un mouvement circulaire du bras : – Regarde ! Nous sommes littéralement entourés de cadavres. A quelques mètres de moi seulement, couché en travers de l’étroite digue, le corps sans vie d’un enfant. Il doit avoir une douzaine d’années. Ses membres sont désarticulés comme une poupée abandonnée par une chipie après l’avoir maltraitée. Une de ses jambes, jusqu’au genou, n’est qu’un morceau de charbon qui n’en finit pas de se consumer.
Et cette pluie qui redouble.
Je sors enfin de ma bulle. La mort est partout ; des corps sans vie gisent à des dizaines de mètres de cet qui fût jusqu’à il y a moins d’une heure, l’un des transports les plus sûr du monde. En théorie.
La carlingue a été sectionnée en plusieurs morceaux. Il manque des pans entiers du fuselage. Comme si un énorme pétard avait explosé dans une boite de conserve, projetant son contenu tout autour.
Les ailes ont disparu.
Le cockpit est totalement écrasé, broyé, méconnaissable, enfermant dans sa gangue de fer le commandant, le premier officier et le radio. Partout des sièges ou des morceaux de sièges, des gilets de sauvetage, des masques à oxygènes. Ici, un fragment de porte reconnaissable à sa poignée. Là, une partie du train d’atterrissage. Les panneaux de plastique qui recouvrent habituellement l’intérieur de l’avion ont éclatés en mille pièces. Ils jonchent le sol. Des restes de compartiments à bagages aussi.
La majorité des passagers a été éjectée, certains encore solidement attachés à leur siège.
Ceux qui sont restés dans la carlingue ne sont, pour la plupart, plus reconnaissables. La scène atteste de la violence inouïe du choc. Une partie de l’avion n’est que bouillie de ferraille d’où dépassent quelques membres humains. Deux pieds et un avant-bras.
Les rizières sont jonchées d’autres débris en tous genres. Des tonnes de morceaux de métal, de barres de fer, de blocs de fils électriques, de pièces électroniques. L’avion a dû se désintégrer en touchant le sol. Nombreuses sont les parties de la carlingue qui brûlent encore ou qui finissent de se consumer. La pluie a certainement contribué à arrêter certains incendies. Mais d’un morceau de ce qui reste de l’avion s’échappe une épaisse fumée noire que forment de grosses flammes encore vivaces. Un réservoir de kérosène ?
Je suis impressionné par le nombre de débris et leur variété. Certaines valises ont été éventrées et de nombreux habits jonchent le sol. Les autres ont disparu, emportées par les pilleurs.
Avec Rith nous nous séparons et partons explorer les lieux.
D’autres journalistes arrivent. Des militaires sont déjà là, armés, ainsi que des policiers de l’aéroport et des membres du personnel de la compagnie concessionnaire. Un policier de l’ambassade de France vient d’arriver, en uniforme. L’aéroport appartient au groupe français ADP. Pour l’instant aucune familles ou proches des victimes. Je me dis qu’ils ne vont pas tarder à arriver. Comment les autorités aéroportuaires ont ils annoncé la chose ? Les proches qui attendaient ont-ils entendu le fracas du crash avec la pluie ? Ont ils eux aussi vu les flammes « plus haute que les palmiers » et fait un quelconque rapprochement avec le retard de l’avion ? Je me pose toutes ces questions en parcourant cette rizière jonchée de cadavres.
En passant près d’un massif d’arbres, je remarque que des pièces métalliques du fuselage sont accrochées aux branches. La thèse de l’explosion se confirme. Ici, la tête d’une vache, sa longue langue rose dépassant sous son museau. Pas de trace du reste.
Cela fait plusieurs fois que je fais le tour des débris, que je passe à côté des corps, dont beaucoup, mais pas tous, sont encore entiers.
Une idée m’obsède. Où sont les cadavres des hôtesses de l’air ? Sur cette compagnie, elles sont toutes vêtues d’ao-dai de couleur rose, cette « tunique uniforme traditionnelle » si caractéristique.
Cela ferait une « plaque », une photo unique. Pour être exploitable encore faudrait-il que les corps de ces pauvres filles soient entiers…
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