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fredericamat

Bernard Trink, l’oiseau de nuit de Bangkok ; sa dernière page

Bernard Trink vient de mourir à l’âge de 89 ans. Jamais entendu parler ? Normal. Le monde aseptisé d’aujourd’hui a englouti son oeuvre dans les profondeurs de sa pudibonderie. Trink reste malgré tout, pour certains journalistes et de très nombreux « anciens » expats’ de Bangkok ou de la région, une institution ; un monstre. Le monstre de la nuit. Durant 40 ans, Trink a croqué la vie nocturne de Bangkok. Sans filtre ni censures !

« A l’époque, une relation avec une prostituée coûtait 35 baths. Mais pour certaines, moins jolies, cela pouvait tomber à 10 baths. Je suis curieux, alors je lui donne les 10 baths. Après avoir fait ce que nous avions à faire, je lui demande pourquoi elle porte un bandage au poignet. Elle l’enlève et me montre son bras. Elle avait la lèpre ».

En 2014, la journaliste Barbara Woosley rencontre Bernard Trink dans les locaux du Bangkok Post et publie ce qui sera sans nul doute son dernier interview. L’homme est alors une légende vivante dans le monde interlope de la nuit et du journalisme à Bangkok. Elle lui demande une anecdote et la « fille à la lèpre » est ce qu’il choisit de lui raconter.

Bernard Trink est arrivé en Thaïlande en 1962. Et jusqu’en 2003, pour le Bangkok World (l’ancêtre du Bangkok Post) il va « couvrir » les folles nuits de Bangkok dans sa célèbre page « Nite Owl ».

Ses sujets ? La vie de la nuit, des bars, des salons de massage, et surtout celle des prostitués, des barmen, des clients, et de tous ceux qui gravitent autour de ce monde. Un regard décalé sur un univers qui l’est tout autant.

Il aura laissé des tas de petites phrases décrivant l’attitude, le comportement ou les habitudes des filles de bars « à l’intelligence du poisson rouge et à la ruse du renard » ; estimant souvent que le bar était pour elles davantage qu’un simple gagne-pain : « on peut enlever une fille d’un bar. On n’enlèvera jamais le bar de la fille ». Son regard peut paraître crû aujourd’hui. On oublie toujours qu’on regarde le passé avec les yeux du présent. Une des raisons pour laquelle le monde ressemble de plus en plus au roman d’anticipation de G. Orwell, 1984.

Avec quarante années de publications ininterrompues, il sera le journaliste qui aura tenu une chronique le plus longtemps au monde. Passant au fil du temps de trois pages avec photos à une demi sans illustration, elle sera arrêtée du jour au lendemain par la direction qui ne désire plus couvrir ce genre de sujets.

« Je n’ai jamais essayé de changer les prostitués, de leur demander de devenir couturières ou quelque chose comme ça. Ce n’est pas mon boulot. Je décris seulement ce qu’elles sont », disait-il encore dans son dernier interview.

Dans les années 1990, le Bangkok Post avait déjà tenté de supprimer sa chronique. Un regard qui ne collait déjà plus avec le monde tel qu’il évoluait. Trink devint ainsi un dinosaure et sa page, un cailloux dans la chaussure du politiquement correct. Le journal avait pourtant dû se résigner à la garder tellement le courrier des lecteurs en colère reçu avait été important.

Cela peut faire sourire mais Trink était un grand féministe. Pas de celles modernes, foldingues et castratrices, mais de celles qui défendent les femmes dans leurs choix. Il n’a jamais supporté les bordels mais a toujours respecté les « bars à filles ». Il terminait chacune de ses chroniques par une phrase qui peut se traduire par « Mais, je m’en fous ».

Alors, Trink, bon vent et en souvenir de cette soirée au French Kiss de Patpong avec un autre grand monsieur de la plume, le papa de Malko Linge, je m’en vais boire un jus d’orange à ta santé…

But, I don’t give a hoot

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