Partie 1 : Pol Pot et les Vietnamiens
Si beaucoup connaissent plus ou moins bien l’histoire tragique du Cambodge et la folie meurtrière de Pol Pot et de sa clique, peu sont ceux qui savent ce qu’il s’est passé lorsque les Khmers rouges a pris fin. Entre 1979 et 1999, une zone d’ombre flotte sur l’histoire du royaume. Et beaucoup d’individus et de nations ont tout intérêt à ce que ce pan du récit de la vie des Cambodgiens reste dans cette zone d’ombre. Voici donc en plusieurs épisodes un résumé de cette histoire contemporaine.
Crédit photo : Roland Neveu
Nous sommes en mai 1975, soit seulement un mois après la chute de Phnom Penh. Les forces armées khmères rouges se positionnent à la frontière vietnamienne, au sud, près du Kampuchéa Krom que les Khmers rouges envisagent d’annexer en tant que berceau historique du peuple khmer ; des escarmouches opposent les Khmers rouges à l’Armée populaire vietnamienne et, à la suite d’une visite de Lê Duẩn – le premier ministre vietnamien – à Phnom Penh pour régler le conflit, Pol Pot présente ses excuses en prétextant un malentendu. On aurait pu croire que tout rassemblait ces deux pays, communistes, fervents anti impérialistes. Or à la mi-1977, les troupes des Khmers rouges effectuent à nouveau plusieurs incursions meurtrières en territoire vietnamien. Toujours en 1977, la ligne dure de l’Angkar, représentée par Pol Pot et Ieng Sary, entreprend de purger l’appareil du Kampuchéa démocratique des cadres pro-vietnamiens, ou supposés tels. Les populations d’ethnie vietnamienne sont en grande partie expulsées du Cambodge ou soumises à des persécutions. En décembre 1977, 20 000 soldats de l’armée vietnamienne pénètrent en territoire cambodgien puis se retirent au bout de quelques jours, emmenant avec eux environ 300 000 Vietnamiens. La tension entre les deux pays est bientôt à son maximum : le Viêt Nam, qui vise le leadership politique sur les pays communistes de la région, noue dans ce but une alliance étroite avec le Laos ; le Cambodge des Khmers rouges, au contraire du Laos, refuse de se subordonner au voisin vietnamien et se lie à la République populaire de Chine. Dans le courant de l’année 1978, les deux camps se préparent à l’affrontement. Au Cambodge, les Khmers à la peau pâle, les métis vietnamiens et les Khmers de Cochinchine sont victimes de massacres en tant qu’« ennemis de l’intérieur » ; du côté vietnamien, on se prépare méthodiquement au combat.
Les Vietnamiens constituent, avec d’anciens cadres Khmers rouges ayant fui les purges de Pol Pot, une organisation chargée d’incarner l’opposition cambodgienne pro- vietnamienne : le 3 décembre 1978, le Front Uni National pour le Salut du Kampuchéa (FUNSK), dirigé par Heng Samrin, un ancien cadre Khmer rouge réfugié au Viêt Nam, est officiellement créé en territoire vietnamien. A ses côtés se trouvent également un tout jeune dissident Khmer rouge, qui a également quitté le Cambodge pour le Vietnam en 1977, Hun Sen.
Le 25 décembre 1978, le Viêt Nam passe à l’attaque : 170 000 soldats vietnamiens déferlent sur le Cambodge. Le 2 janvier 1979, c’est l’offensive finale. L’offensive terrestre, conduite par des blindés sur les routes principales, a été couverte par les forces aériennes des MiG-19 soviétique et des F-5 et A-37 américains capturés, et appuyée d’opérations amphibies. Les troupes khmères rouges sont facilement mises en déroute et, le 7 janvier 1979, les troupes vietnamiennes entrent dans Phnom Penh désertée. Un nouveau gouvernement communiste cambodgien, favorable au Viêt Nam, est rapidement mis en place, le 10 janvier, le régime prenant le nom de République populaire du Kampuchéa.
Le 7 Janvier 1979, est la date célébrée aujourd’hui au Cambodge comme le jour de la chute du régime des Khmers rouges. C’est bien entendu un jour férié. Nombreuses sont les rues, et écoles à porter le nom de 7 janvier. Bram Peul Makara en Khmer. Mais l’on trouve également, même s’ils sont plus rares, des établissements portant le nom du 10 janvier. Car c’est le jour de l’instauration du nouveau gouvernement qui remplace le régime de Pol Pot.
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